La très controversée COP 28 s’achève. Tom Middendorp, expert en sécurité internationale, revient sur cette conférence qui s’est déroulée à l’épicentre de l’exploitation mondiale des hydrocarbures fossiles, dans un contexte marqué par des crises géopolitiques internationales telles que la guerre en Ukraine et le conflit israélo-palestinien.
L’analyse de Tom Middendorp, auteur du livre « Le Général Climat », explore le lien crucial entre le changement climatique et la sécurité mondiale. Découvrez les réponses de Middendorp à trois questions clés, allant des principaux enseignements de la COP 28 à la nécessité de ne pas séparer la sécurité internationale de la lutte contre le réchauffement climatique, en passant par les solutions et stratégies pour un avenir meilleur. Le livre « Le Général Climat », préfacé par Ban Ki-moon et Feike Sijbesma, sera publié le 15 décembre aux Editions La BUTINEUSE.
Q1 : En tant qu’expert en sécurité internationale et auteur du livre « Le Général Climat », quelles sont les avancées significatives ou les initiatives majeures à retenir de la COP 28 qui vient de s’achever à Dubaï ? Qu’en est-il de la lutte contre le changement climatique et de la sécurité globale ?
La COP28 s’achève. Elle s’est concentrée plus que jamais sur le rôle des énergies fossiles dans le changement climatique. On voit à quel point ce sujet reste complexe et difficile à aborder pour la communauté internationale. C’est la première fois dans l’histoire que nous devons remplacer une source d’énergie par une autre, au lieu d’en ajouter une nouvelle. Un défi de taille qui montre à quel point nos économies sont dépendantes, malgré toutes les alertes lancées par les scientifiques depuis de nombreuses années. Ils sont pourtant clairs et sans équivoque. Si nous voulons avoir une chance de respecter les accords de Paris et éviter le pire, nous devons absolument réduire notre empreinte écologique le plus rapidement possible.
Dans le même temps, les discussions autour de la création d’un Fonds pour le climat témoignent d’une prise de conscience croissante de la nécessité de s’adapter à un climat changeant qui franchit déjà des points de bascule et met en jeu la vie de centaines de millions de personnes.
La COP28 s’est déroulée sur fond de guerre. Les tensions entre les nations font la une des journaux du monde entier, ce qui détourne l’attention, les ressources, et affecte notre volonté et notre capacité à lutter contre le changement climatique. Ces guerres sont extrêmement destructrices par nature et, en tant qu’ancien militaire, je sais quel en est le prix. Là où il y a des conflits, il n’y a pas de place pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Il est donc impératif de travailler sur les deux fronts car le climat et les conflits sont les deux faces d’une même pièce : nous avons besoin de sécurité et de stabilité pour faire face au changement climatique, tandis que la lutte contre le changement climatique peut contribuer à réduire le risque de conflits dans le monde entier.
La question est donc la suivante : comment faire face simultanément à tous ces dangers ? Comment faire coïncider l’urgent et l’important ? Il faut un leadership fort pour répondre aux deux objectifs, résoudre les crises actuelles et prévenir les crises futures.
Q2. Vous affirmez qu' »il est utopique de penser que nous pouvons séparer les questions de sécurité internationale et de lutte contre le réchauffement climatique ». Pourriez-vous expliquer en quoi ces deux domaines sont intrinsèquement liés et quelles sont les implications de ce lien pour la communauté internationale ?
J’ai eu une longue carrière militaire. J’ai participé à plus de 20 missions internationales en zones de crise, aux côtés des forces armées de nombreux pays. Peu à peu, j’ai pris conscience du rôle du changement climatique en tant que multiplicateur de risques et parfois même en tant que cause directe de conflit, en particulier dans les pays et régions fragiles, sur tous les continents.
Les sécheresses, les inondations, la fonte des glaces, les phénomènes météorologiques violents – tous ces éléments sont présents depuis des décennies, mais ils s’aggravent rapidement. Ils rendent des parties de plus en plus importantes de notre monde presque inhabitables et constituent une menace existentielle pour des milliards de personnes.
Les armées de la plupart des pays, à travers leurs opérations nationales et internationales, sont en première ligne du changement climatique. Nous sommes témoins de la façon dont les sécheresses et les inondations affectent la sécurité hydrique et alimentaire de populations entières, et de la façon dont ces personnes luttent pour leur survie. Nous constatons que ce désespoir conduit à des choix désespérés, à des conflits locaux, à des flux migratoires et qu’il peut conduire ces populations à tomber entre les mains de la criminalité organisée et d’organisations extrémistes. Nous sommes de plus en plus sollicités pour apporter une aide humanitaire et des secours en cas de catastrophe dans des pays frappés par des phénomènes météorologiques violents.
Je dirige un réseau mondial de responsables de la sécurité de plus de 40 pays, soutenu par un consortium d’instituts de recherche. Nous sommes tous convaincus que changement climatique et sécurité sont étroitement liés. Ce changement entraîne une plus grande insécurité, or la sécurité est nécessaire pour y faire face. Bien sûr, nous ne voulons pas sécuriser le changement climatique, car il ne s’agit pas d’un problème militaire en tant que tel, mais il a d’énormes implications en matière de sécurité, ce qui en fait également un sujet de sécurité (inter)nationale. Que cela nous plaise ou non, le secteur de la sécurité doit faire partie de la solution. Pour ce faire, nous devons unir nos forces et nous attaquer aux problèmes à la source de manière plus globale.
Q3 – Votre livre explore en profondeur le lien crucial entre le changement climatique et la sécurité mondiale. Pourriez-vous nous faire part de quelques-unes des solutions et des stratégies que vous proposez pour relever les défis multiformes posés par le changement climatique et contribuer à un avenir meilleur ?
Il existe de nombreuses façons d’agir efficacement, mais tout commence par la prise de conscience, par la compréhension du « pourquoi ». Les gens changent lorsqu’ils comprennent et ressentent le besoin de changer. Je suis convaincu que si nous nous y mettons, nous pouvons trouver de nouvelles solutions. Nous devons faire preuve d’imagination, donner à l’innovation la place qui lui revient et mettre nos économies à l’épreuve du climat grâce à la circularité. Nous ne pouvons pas attendre qu’il soit trop tard. En tant que soldat, j’ai appris l’importance de faire face aux problèmes et de prendre de l’avance pour éviter que le pire ne se produise.
Dans mon livre, je donne de nombreux exemples concrets du rôle que peuvent jouer les forces de sécurité. Elles peuvent contribuer à la mise en place de mécanismes de prévision et d’alerte précoce pour les risques liés au climat. Elles peuvent constituer une plateforme d’innovation pour les nouvelles technologies. Elles peuvent contribuer à créer des environnements sûrs pour les programmes d’adaptation dans les zones fragiles. Certains exemples de collaboration réussie ont donné naissance à de véritables leviers de changement, comme ce dispositif qui produit sa propre eau à partir de l’air du désert, ou ce climatiseur qui ne consomme pratiquement pas d’énergie et ne contient pas de réfrigérants nocifs. Il ne s’agit pas seulement de petits pas en avant, mais d’innovations dont l’impact potentiel est énorme.
Mais avant tout, il est essentiel que nous dépassions les clivages et que nous adoptions une approche holistique. Cela exige que nous dépassions nos divisions, notre concurrence, nos cercles professionnels, et que nous tendions la main à ceux qui ne pensent pas – a priori – comme nous.
Aux Pays-Bas, la moitié de la population vit sous le niveau de la mer. Au fil du temps, l’adaptation et l’investissement dans la protection du climat sont devenus notre seconde nature. Chez nous, il n’y a guère de débat sur la nécessité d’investir des milliards dans notre protection contre le changement climatique. Nous n’avons survécu que grâce à un effort collectif considérable, impliquant toutes les branches de la société : gouvernement, entreprises, chercheurs, entrepreneurs, bien au-delà des clivages politiques.
En 2017, alors que j’étais encore chef d’état-major des armées de mon pays, les Pays-Bas, j’ai organisé une grande conférence internationale multidisciplinaire, au cours de laquelle 1 200 responsables de la sécurité, des acteurs du monde non gouvernemental et de la société civile, des entrepreneurs et des créateurs, des penseurs et des inventeurs ont eu l’occasion d’échanger des idées et de se rencontrer sur toutes sortes de sujets liés à la sécurité. De nombreuses actions concrètes et positives en ont résulté et font aujourd’hui leurs preuves.
J’ai écrit ce livre parce que j’ai honte de l’héritage que ma génération laisse derrière elle et parce que je considère que le changement climatique est probablement le plus grand défi de ce siècle. C’est aussi la raison pour laquelle je l’ai dédié à mes enfants.
Le Général Climat : Le livre évènement qui dévoile le lien crucial et trop peu exploré entre changement climatique et sécurité mondiale
Par Tom Middendorp,
avec Antonie van Campen
Sortie le 15 décembre 2023 en version anglaise & française en Europe & aux Etats-Unis
Préface de Ban Ki-moon et Feike Sijbesma, co-présidents du Centre mondial pour l’adaptation.
« Nous recommandons Le Général Climat à toute personne désireuse de comprendre les défis multiformes posés par le changement climatique et, plus encore les solutions et les stratégies qui peuvent nous conduire à un avenir meilleur. »
Sortie en librairie le 15 décembre 2023
« Le Général Climat » est publié par LA BUTINEUSE, une maison d’édition engagée dans la sensibilisation aux enjeux climatiques et à l’impact des activités humaines sur notre planète
358 pages
Disponible également en numérique, prix de l’ebook : 19 € TTC
L’auteur – Tom Middendorp
Le général Tom Middendorp a une riche expérience opérationnelle sur de nombreux terrains. Il a notamment été déployé en Afghanistan en 2006-2007 en tant qu’ambassadeur adjoint auprès de l’OTAN, puis en 2009 en tant que commandant de la Task Force Uruzgan. Il a ensuite dirigé plus de 20 missions internationales avant de devenir chef d’état-major de la défense en 2017. Il a étroitement collaboré avec les armées des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, du Benelux, de la France et de l’Australie. Il s’est ensuite dédié à la question du climat et de la sécurité, en collaborant avec l’Institut Clingendael et le Centre d’études stratégiques de La Haye (HCSS). Depuis 2019, il est le président du Conseil militaire international sur le climat et la sécurité (IMCCS). Il est également l’envoyé spécial des Pays Bas pour la coopération européenne en matière de défense. Il participe à de nombreuses conférences internationales (Munich Security Conference, Austrian World Summit, World Defence Show, European Defence and Security Summit, etc.) et prend régulièrement la parole auprès des entreprises du secteur privé.
Antonie van Campen est aujourd’hui rédactrice de discours indépendante. Elle connait l’auteur depuis de longues années et a grandement contribué à sa communication au ministère de la Défense.